Hydravions à Como

Ce récit a été publié, à peu près intégralement, dans Aviation et pilote d'août 1994

Como, à un peu moins de 900 km de Paris est un site unique pour l'hydraviation. L'Aéro-Club de Como, fondé en 1930, est situé en pleine ville à trente mètres du lac du même nom. C'est un aéro-club sans aérodrome et sans avion, mais avec un lac de 40 km de long et des hydravions. Pas de voiture de piste non plus, mais un canot à moteur hors-bord. Les pilotes étrangers étant les bienvenus, Jean-Pierre Delaplace, Jacques Ravaud et moi-même nous y avons séjourné deux semaines.

Gaston, l'Argentin du club, nous initie aux subtilités de la prévol du PA18 hydro, puis je pars en vol avec Edo. J'ai l'air fin, avant d'aller au ponton il m'a donné une check-liste en français et je l'ai laissée au club. Bon ! en contrôlant tout, ça devrait aller. Il faut absolument caler l'horizon artificiel même pour un vol local, au cas où l'amerrissage en miroir s'imposerait.

Décollage; ça va, depuis l'année dernière j'ai pas trop perdu la main, et avec 150 canassons sous le capot on s'envole comme un petit canard. Quelques virages, puis des décrochages avec et sans volets, ensuite quelques amerrissages en miroir.

On se pose entre les bateaux de plaisance sans histoire, preuve que les hydravions peuvent fréquenter les mêmes plans d'eau que les bateaux sans se gêner.

L'Aéro-Club de Como est un exemple d'intégration dans la ville. L'étape de base débute verticale la cathédrale, le dernier virage se fait au-dessus de la gare. Personne ne se plaint, le bruit urbain couvre celui des hydros. Une rue passe entre le hangar et la rampe de mise à l'eau, les voitures s'arrêtent pour laisser passer les bateaux volants.

- Et l'écologie nom de Dieu ?
- Une escadrille de canards sauvages niche près des pontons.

Ce sont les élèves de notre grand-père adoptif Marcello, un pilote de la guerre. Les bestioles sont assidues à ses cours dont le sujet est toujours le même : distribution de pain.

La “piste” est balisée avec des bouées, ce qui explique peut-être le penchant des instructeurs pour le touch and go. L'exercice est bon pour apprendre à contrôler les changements d'axe, d'assiette et de puissance. La traduction du mot italien qui désigne le palonnier est pédalier, preuve que le PA18 est maniable comme un petit vélo.

La suite de l'entraînement se fait avec une planche à trous recouvrant le tableau de bord. Il me reste : la pression et la température d'huile plus le compte-tours.
- Tu vois, ça marche aussi bien comme ça.
- C'est bien la preuve que les instruments ont été inventés pour embêter les pilotes quand ils volent avec un instructeur.
- ???

Les tours de “pistes en 19” sont géniaux; décollage face à la ville puis une louche de cap à droite et on vire à gauche sur le port quelques dizaines de mètres au-dessus des mâts des bateaux pour rejoindre la vent arrière. En finale, nous survolons quelques palaces, où le prix d'une chambre pour la nuit doit engloutir allégrement mon budget d'heures de vols de la semaine.

Entre deux vol nous refaisont le monde de l'hydraviation avec les pilotes locaux, tous très sympathiques et prêts à nous rendre service. Cesare Baj, auteur d'un excellent livre sur le pilotage des hydravions (en cours de traduction en français par mes soins), nous raconte l'histoire du club.

Le parking du club dans les années trente

Depuis 1930, l'activité ne s'est interrompue que pendant la guerre. Une génération de pilotes en a formé une autre et ainsi de suite. Entre le hangar et les pontons, j'ai rencontré des grands-pères volants qui m'ont montré quelques photos jaunies des bateaux volants qu'ils ont pilotés avant guerre. Si vous parlez l'italien, allez à leur rencontre; vous serez bien accueillis et c'est un moyen très agréable pour attendre votre tour de prendre l'air.

En Vol avec Edo sur l'I-BUFF, j'ai dit ibouffe à la radio, paraît qu'il ne faut pas le faire, c'est pas très académique. De même que “taxi pour la 01”, on dit flottaggio (flottage).

La manette des gaz s'est coincée pendant le vol de Jacques, nous ne devons pas nous éloigner de la base, et impossible de se faire lâcher. J'argumente en expliquant que le danger en hydro est le survol de la terre; pour être en sécurité il suffit de voler toujours au-dessus de l'eau. En plus, depuis le début, on se pose toujours sans moteur. La seule différence que je vois entre les amerrissages ordinaires et une carafe moteur, c'est qu'il n'y a pas à se fatiguer à réduire les gaz, c'est automatique et on est sûr que c'est bien fait.

Pour le moment, je peaufine la technique de l'amerrissage en miroir sur le PA18 vu que, pour le moment, le vol solo est déconseillé.

PA18 en visite

Le second Piper devrait sortir de visite ce soir et les bricoles des C172 solutionnées sous peu. Les deux mécanos ne chôment pas. La flotte est dans un état impeccable. Bravo messieurs, quand on sait que l'entretien d'un hydro demande plus de soins qu'un avion à roues.

Avant de grimper dans le C172 Edo me demande :
- Tu as déjà volé sur ce type d'avion ?
- Tous les hydravions se pilotent de la même façon, on tire et ça monte, on continue à tirer et ça descend.
- Et les paramètres ?
- Tous les pièges ont les mêmes, secteur vert.
- !!!

Les vacances sont aussi faites pour rigoler : mes instructeurs sont de bonne composition et ont le sens de l'humour. Il est toujours plus agréable d'apprendre auprès de gens sociables.

Le C172 est plus lourd que le PA18 et nettement moins maniable, mais ça reste une bonne barcasse en somme.

Notre instructeur fait de la tension, il doit se reposer entre chaque vol. Je lui conseille de voler bas, au ras des vagues pour garder la forme.

Pendant les vols de Jean-Pierre et de Jacques, je discute avec Ariberto le secrétaire comptable. Il pense que la bureaucratie italienne est plus gratinée que la française. Les Italiens appellent ça l'UCAS, que l'on peut traduire par BCAS (bureau de complication des affaires simples). Pour lui montrer qu'en France nous avons aussi des bureaucrates pas piqués des hannetons, je lui offre quelques revues aéronautiques françaises en lui conseillant la lecture du courrier des lecteurs. France-Italie égalité, malgré les nombreux points marqués dans chaque camp.

On peut voler en Italie sur un avion immatriculé italien avec une licence de pilote privé délivrée par un état membre de la C.E.E. En ce qui concerne les qualifications hydravions, l'Italie reconnaît la qualification française; aux dernières nouvelles, la France ignore toujours les qualifications hydro étrangères. Comme combine pour relancer l'hydraviation de loisirs dans l'hexagone il fallait la trouver, celle-là. Bravo à celui qui en est à l'origine, il a compris qu'un pilote privé vole pour son plaisir en payant au prix fort ses heures de vols. Si on lui interdit de déchirer des billets de banque dans les bateaux volants français (ce pluriel, n'est-il pas un peu singulier ?), il le fera dans les pays qui acceptent les qualifs étrangères (les canards sauvages sont aussi des oiseaux migrateurs).

Maintenant que nous sommes lachés il reste un point de détail à régler, pouvons-nous emmener des passagers ? Notre cas est un peu compliqué, licence de pilote privé française, qualification hydro canadienne plus maintenant l'italienne. Mais quel est le document à tamponner pour être en règle ?

Un coup de téléphone au bureau compétent et la solution est fournie. Notre instructeur doit mentionner sur notre carnet de vol notre qualification hydravion.

Aussitôt fait, je pars avec Jean-Pierre et Gaston pour une balade superbe vers le lac de Lugano. Ensuite, escale sur le lac de Mezzola où une famille de cygnes nous regarde amerrir, comme les vaches regardent passer les trains. Le décollage ne les perturbera pas non plus ! Il n'y a pas de problèmes avec l'écologie, seulement avec certains soit disant écologistes.

Au bord du lac je m'endors sur un banc public; à mon réveil je n'aperçois pas mes copains. Ai-je perdu le reste de la flottille ?

Pour me consoler, je vais au club. Un hydro est disponible, je me fais un tour du lac génial. La région est superbe et je ne m'en lasse pas. A chaque vol, je découvre quelque chose de nouveau, un petit port ou une belle villa. A mon retour je retrouve mes complices, ils s'étaient endormis aussi, mais sur un autre banc. Jacques est lâché, bienvenue parmi les canards sauvages de l'Aéro-Club Central des Métallurgistes.

Le lendemain nous partons pour un vol vers le lac Majeur. Le coin vaut le déplacement, les îles Boromées sont superbes. Au retour nous essayons de négocier une balade au lac de Garde pour le lendemain. Après pas mal de palabres, nos instructeurs nous autorisent le lac d'Iseo, plus proche et moins sujet aux vagues. A leur décharge et pour planter le décor : dans combien de clubs en France, trois étrangers de passage pourraient-ils s'en aller bourlinguer, avec qui plus est un hydravion, sans rendre des comptes ?

Fulvia, l'efficace secrétaire du club me dit que dans le Fax aux gendarmes pour le vol prévu demain, nous devons indiquer les coordonnées géographiques du point d'amerrissage. Le hasard me fait choisir un point de derrière les fagots situé à un endroit inaccessible par la route.

Le lac est légèrement agité ce matin. On nous demande d'attendre que ça se calme un peu. Vers 10 h 30 nous, avons le feu vert. Après le décollage nous suivons la berge jusqu'à Lecco, puis cap à l'est vers Iseo. Le contact de Milan-info en anglais ne donne rien, essayons l'italien. Ça répond et la suite vaut le détour :
- Le code OACI de votre destination ?
- Nous sommes un hydravion et allons nous poser sur un lac.
Après un long silence.
- Rappelez avant l'atterrissage.
- Si ça ne vous fait rien, je rappellerai plutôt avant l'amerrissage.

Nous avons dû tomber sur un apprenti, et si le chef de quart écoute, j'en connais un qui risque de se retrouver à classer des NOTAM avec un bonnet d'âne sur la tête.

Nous faisons le tour du lac, puis allons reconnaître le point d'amerrissage. La rive est marécageuse à souhait, trop d'eau pour marcher et pas assez pour nager. Si les gendarmes viennent nous voir ils sont mûrs pour s'embourber. Si en plus le coin est infesté de moustiques, j'en connais qui vont maudire les pilotes d'hydravions.

Nous nous posons au milieu des plaisanciers qui se sont gentiment écartés. Quand le moteur est coupé, ils se rapprochent doucement.
- Des problèmes ?
- Pas du tout, on fait du tourisme et si vous pouviez prendre l'un de nous en bateau pour filmer, ça serait sympa.

Jean-Pierre monte à bord d'un canot avec la vidéo et les appareils photos. Comme quoi tous les utilisateurs d'un plan d'eau peuvent vivre en harmonie sans se gêner.

Pour le décollage les bateaux s'écartent à nouveau, puis nous suivent. Une fois en l'air, demi-tour puis passage en balançant les ailes pour un au revoir. Tout le monde nous salue en agitant les bras.

Nous rentrons à Como avec un peu de retard à cause du départ tardif. Nous sommes à l'amende de deux bouteilles de blanc (c'est un club qui sait vivre).

L'après-midi, Jean-Pierre et Jacques vont se baigner, en hydravion évidemment. Je n'ai pu partir avec eux à cause des perfos de décollage dégradées par la chaleur, mais je me console avec un tour du lac en PA18.

Le soir, nous invitons tout le personnel à boire les bouteilles dont nous sommes taxés.

Edo nous demande :
- Etes-vous contents de vos vols ?
- On transpire moins sans instructeur.
- Moi aussi, je transpire moins sans élève.
- Tu n'es pas au bout de tes peines, il va falloir que je revienne pour que tu m'apprenne : l'amerrissage de nuit, les opérations en rivière, en bassin étroit, en lac de montagne, l'organisation d'une expédition, la maîtrise du marsouinage sur le Lake, etc. Bref, tout ce qu'il y a dans le bouquin à Baj, pour que j'en fasse une traduction fidèle.
- !!!

Sur ce coup-là, sa tension a dû remonter.

Pendant que Jean-Pierre et Jacques vont se balader en PA18 je discute avec les Français de passage. Nous en voyons tous les jours qui viennent au club pour un vol d'initiation ou pour s'informer des tarifs des hydravions. Ce sont les retombées de la séquence de “Pégase” diffusée cet hiver sur FR3. Preuve que cette magnifique émission, malgré sa diffusion trop tardive, laisse des traces dans les esprits. Chaque fois que des Français passent la porte du hangar, nous disons : voilà encore des pégases et nous gagnons neuf fois sur dix.

Je vous laisse, je suis invité à prendre un gorgeon à l'annexe par un pilote à l'amende d'une tournée générale pour avoir décollé avec les gouvernails aquatiques baissés. Quand je vous dis que c'est un club qui sait vivre.


Mieux que le netsurfing; l'hydroplanage  Septembre 1993 © Vincent FABRI